Tiger World d’Amnéville, l’ultime dérive

Une attraction « unique au monde », un « hommage » aux tigres ? Non, un spectacle de dressage de fauves de plus. Le zoo d’Amnéville (Moselle) fait un pas de plus vers la marchandisation des animaux sauvages.
Le tigre blanc est issu de croisements consanguins.

Tiger World, le projet aux 14 millions d’euros du zoo d’Amnéville (Moselle), se présente comme une nouvelle attraction, « unique au monde », « en hommage » aux tigres. La première aura lieu le 11 avril 2015. Les concepteurs de ce spectacle mêlant dressage de tigres et effets spéciaux revendiquent ses vertus pédagogiques et son objectif de conservation de l’espèce.

Le directeur du zoo, Michel Louis, grâce au fauconnier – et dresseur inexpérimenté – Rémy Flachaire, donne ainsi corps, après de lourds investissements, à son « rêve d’enfant » : le dressage de fauves. D’ailleurs, Michel Louis ne s’en est jamais caché, il est passionné par l’utilisation des animaux sauvages dans les cirques. Si passionné qu’il n’accepte pas le moindre débat, ni le moindre commentaire à ce sujet.

Ce que l’on ne dit pas

Conservation et dressage ? Ce projet a au moins un mérite, celui de révéler le double discours de zoos qui, d’un côté, mettent en avant leur présumé engagement en faveur de la préservation des espèces et, de l’autre, transforment leurs captifs en biens de consommation.

Ce que le public ne sait pas, c’est que, pour ce spectacle, les tigrons ont été retirés très tôt à leur mère, alors qu’en liberté ils restent à ses côtés environ deux ans.

Ce dont le public ne se doute pas, c’est que, derrière les décors, les jeux de lumière et les espaces créés pour lui, les parois de béton qui le choquaient dans les zoos d’hier sont toujours là. Seulement ce béton est sculpté, modelé, décoré (par l’Atelier artistique du béton) : faux murs, fausses falaises, végétation artificielles. Beau trompe-l’œil à destination des spectateurs mais, pour l’animal, le béton reste du béton, la cage, une cage, comme autant d’obstacles à la liberté. Il s’agit bien de faire rêver les hommes au détriment des bêtes.

Et pour que l’illusion soit parfaite, le zoo d’Amnéville met un joli nœud autour de son paquet en racontant au public que son spectacle lui permettra de s’instruire et de faire une bonne action.

La pédagogie comme un camouflage

Le mot « éducation » n’est pas un label, le zoo l’utilise donc à foison dans la rubrique de son site web dédiée aux publics scolaires, à coups de valise et d’ateliers pédagogiques, et même de livrets pour les élèves et de ressources pour les enseignants ! Des documents qui expliquent les déplacements, la reproduction, l’alimentation des animaux, etc., alors que les espèces détenues dans ce zoo sont privées de la possibilité de chasser, de choisir un partenaire sexuel ou tout simplement de se déplacer comme bon leur semble.

Quelques exemples ? Le Tiger World va présenter des tigres dans des numéros contre-nature et dans des postures qui ne correspondent pas à la réalité de l’animal. Les tigres seront présentés en groupe, une absurdité et un calvaire pour cet animal solitaire. Enfin, faut-il le préciser, l’environnement et le climat lorrains n’ont pas grand-chose à voir avec le biotope d’origine du tigre du Bengale.

Par conséquent, non seulement ce projet n’a pas de vertu pédagogique, mais il fausse la perception du spectateur sur la réalité de la vie des tigres. Observer une espèce hors de son espace est un non-sens.

Le mirage de la conservation

Le Tiger World présentera 7 tigres du Bengale et 2 tigres blancs. Or, selon les experts de l’Association américaine des zoos et des aquariums, l’élevage des tigres blancs est « problématique dans une perspective de conservation ». Ils préconisent ainsi « d’y mettre fin, les tigres blancs n’étant que le résultat de croisements consanguins ».

Se targuer de préserver une espèce qui disparaît du fait de la pression de l’homme en créant une nouvelle pression sur elle au travers d’un spectacle de cirque est un scandale. Non seulement les animaux ainsi exploités sont et resteront captifs mais, en les chosifiant de la sorte, le zoo d’Amnéville les transforme en produits de consommation. Ce qui bien entendu ne servira ni les animaux captifs, ni ceux qui vivent encore dans leur milieu naturel.

Un business décomplexé

Si le projet Tiger World n’a, d’après nos informations, pas enthousiasmé les autres zoos, il n’en reste pas moins que leurs réactions restent confidentielles. Le zoo d’Amnéville reste membre de plein droit de l’Association européenne des zoos et aquariums (EAZA) et prévoit d’ores et déjà la multiplication des spectacles, notamment avec des dauphins.

Sous prétexte de conservation et de pédagogie, l’établissement de Michel Louis vend de l’exploitation. En proposant un emballage qui semble acceptable, il dupe le public, lui permettant de consommer en toute conscience. Les dons faits par le zoo à des programmes de conservation ne sont en fait qu’une partie de l’augmentation des tarifs d’entrée (33 euros pour un adulte en 2015, contre 25 en 2009). Une jolie façade à moindre coût, justifiant un business sur le dos de l’animal.

Si les spectacles sont déjà (trop) présents dans les zoos (otaries, vautours, perroquets…), ce nouveau concept de cirque-zoo pourrait donner de mauvaises idées à d’autres établissements, qui flirtent déjà avec le toujours plus.

Code animal a interpellé tous les députés et sénateurs de Lorraine. Si quelques élus ont émis des doutes sur ce projet, ils se sont montrés impuissants, puisqu’il est porté par un établissement privé, lequel, aussi contestable soit-il, n’a a priori rien d’illégal.

La meilleure solution reste de ne pas soutenir les zoos en général et ce zoo en particulier en mettant en application cette phrase de Coluche : « Quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne se vende pas ! »

Franck Schrafstetter

Crédit photo : Cendra Combis.
Publié le: 
08/04/2015