Examinons plutôt, avec la suspension de jugement qui sied à toute démarche scientifique, comment, à toutes les époques et sous les climats les plus divers, des hommes ont su collectivement tirer parti du champ des contrastes possibles qui leur était offert pour nouer, sur la texture et la structure des choses, des configurations singulières de rapports de différence et de ressemblance entre les existants, leurs propriétés, leurs dispositions et leurs actions. L’anthropologie comme science spécialisée naquit d’un besoin de résoudre ce scandale logique par l’explication et la justification de formes de pensée exotiques qui ne paraissaient pas établir des démarcations nettes entre humains et non-humains, et cela à une époque où la compartimentation des sciences de la nature et des sciences de la culture s’était définitivement consolidée, rendant ainsi inévitable que les caractéristiques de la réalité physique telles que les premières les appréhendaient servent à définir l’objet des systèmes d’interprétation du monde que les secondes s’efforçaient d’élucider. Philippe Descola, « Anthropologie de la nature », L’annuaire du Collège de France [En ligne], 111 | 2012, mis en ligne le 22 novembre 2013, consulté le 28 décembre 2020. Courriel :publications@college-de-france.fr, URL :http://www.college-de-france.fr/site/publications/index.htm, Adresse : 11, place Marcelin Berthelot 75231 Paris Cedex 05 France. 3Mais sans doute était-ce trop tôt ou trop tard, le Collège de France ayant déjà à cette époque commencé d’entériner dans l’organisation de son enseignement le grand partage de méthode et d’objet entre les sciences de la nature et les sciences de la culture que le xixe siècle ne cessera d’approfondir : Georges Cuvier était alors titulaire de la chaire d’Histoire naturelle tandis que Pierre de Pastoret venait de succéder à Mathieu-Antoine Bouchaud dans celle du Droit de la nature et des gens, un composé de philosophie morale et d’histoire des institutions qui préfigurait l’anthropologie sociale. Précisons toutefois que la chaîne ne correspond aucunement à la nature : c’est le réseau des traits contrastifs de toute nature qui autorise, comme certaines figures de la Gestalt, des reconnaissances, des prises d’identité et des imputations variées quant à la structure du monde. Cette communauté des humeurs et des tempéraments au sein de collectivités hybrides avait déjà été notée par William Spencer et Franck Gillen il y a plus d’un siècle lorsqu’ils écrivaient, à propos de l’Australie centrale, « un homme regarde l’être qui lui sert de totem comme étant la même chose que lui-même10 », non pas, bien sûr, qu’une telle identification prenne pour objet un corbeau ou un cacatoès observable dans l’environnement, mais parce que ces espèces constituent des hypostases d’une relation d’identité physique et morale entre certaines entités du monde, relation qui transcende les différences morphologiques et fonctionnelles apparentes pour mieux souligner un fond commun de similitudes ontologiques. Philippe Descola est anthropologue, Professeur au Collège de France et titulaire de la chaire « Anthropologie de la Nature ». Cours et travaux du Collège de France. Cosmopolitiques de la territorialité (suite) 02 - Les usages de la terre. Salutaire définition qu’il convient de garder sans cesse à l’esprit pour se prémunir des tentations toujours vivaces de réduire l’homme à une sorte d’automate dont chaque branche du savoir prétendrait détenir la clef du moteur principal, tour à tour identifiée aux facultés mentales, aux gènes, aux pulsions, aux besoins physiologiques ou aux habitudes culturelles. 7Avec le recul du temps, on ne peut manquer d’être frappé par la récurrence sous la plume de ce touche-à-tout de génie de la notion de totalité, comme s’il avait voulu exorciser par ce terme la fragmentation d’une œuvre immense et rappeler ainsi son aspiration constante à atteindre la combinaison des plans individuels et collectifs à travers la singularité d’une expérience où se révéleraient dans toute leur complexité le jeu des institutions et leur mode spécifique d’assemblage. Philippe Descola Collège de France - Année 2018/2019 Anthropologie de la nature Qu'est-ce que comparer ? Par ailleurs, si la comparaison ne saurait porter que sur des ensembles discrets de phénomènes, la signification qui leur est attachée doit toujours être examinée par rapport aux systèmes locaux au sein desquels ils s’inscrivent. Le culturalisme radical n’est guère mieux loti, qui se voit contraint de prendre un appui subreptice sur un point fixe qu’il avait pourtant évacué de ses prémisses : si la nature est une construction culturelle dont chaque peuple proposerait sa variante, alors il faut bien que, derrière le palimpseste des interprétations et des gloses, transparaisse en quelque manière le texte original dans lequel chacun aurait puisé. Ainsi entendu, le comparatisme n’est pas une fin en soi, mais une manière d’expérimentation contrôlée permettant de vérifier ou d’infirmer des hypothèses sur ce qui fonde et explique la diversité des systèmes d’usage du monde. L’analyse des interactions entre les habitants du monde ne peut plus se cantonner aux seules institutions régissant la société des hommes, ce club de producteurs de normes, de signes et de richesses où les non-humains ne sont admis qu’à titre d’accessoires pittoresques pour décorer le grand théâtre dont les détenteurs du langage monopolisent la scène. Est-il du ressort de l’anthropologie d’ourler patiemment cette guenille afin qu’elle présente partout le rebord lisse qui permettrait d’y raccorder, comme autant de tissus bigarrés, les milliers de cultures que nous avons remisées dans nos bibliothèques ? Vérifiez si votre institution a déjà acquis ce livre : authentifiez-vous à OpenEdition Freemium for Books. OpenEdition est un portail de ressources électroniques en sciences humaines et sociales. Cuvier, Bouchaud et de Pastoret avaient en effet été des membres actifs de l’éphémère Société des observateurs de l’homme, avec laquelle Humboldt fut lui-même en contact suivi, et l’on peut penser que leurs débats au sein de ce que l’historien George Stocking a appelé « la première société anthropologique dans le monde » ne les prédisposaient pas à admettre sans réserve la séparation du physique et du moral que leurs compagnons Destutt de Tracy et Cabanis combattaient si vivement, qu’ils adhéraient plutôt à l’ambition affichée par les Idéologues d’étudier les lois naturelles de l’entendement à travers l’observation de leurs effets tels qu’on pouvait les découvrir réalisés dans les mœurs, les techniques et les institutions des peuples sous toutes les latitudes et à toutes les époques de l’humanité. 2Si la coïncidence de date exploitée dans mon préambule est toute fortuite, l’évocation d’Alexandre de Humboldt dont elle m’a fourni le prétexte n’est pas dictée par le seul hommage de circonstance à un homme qui contribua à éveiller mon intérêt pour les sociétés et les paysages sud-américains. L’anthropologie est donc confrontée à un défi formidable : soit disparaître avec une forme épuisée d’anthropocentrisme, soit se métamorphoser en repensant son domaine et ses outils de manière à inclure dans son objet bien plus que l’anthropos, toute cette collectivité des existants liée à lui et longtemps reléguée dans une fonction d’entourage. Dire que la nature n’existe que pour autant qu’elle est chargée de sens et transfigurée en autre chose qu’elle-même suppose que ce sens contingent soit donné à un pan du réel qui n’ait pas de sens intrinsèque, qu’une factualité têtue puisse être constituée en représentation, que la fonction symbolique ait quelque ancrage dans un référent phénoménal ultime, garant de notre commune humanité et protection contre le cauchemar du solipsisme. Dans l’ontologie cartésienne, on le sait, les animaux sont des êtres purement matériels, car ils ne peuvent a priori participer de cette substance non étendue qu’est l’âme. 26Or, si l’on accepte d’envisager l’ontologie moderne que nous venons de décrire comme une manière parmi d’autres de classer les entités du monde en fonction des propriétés que l’on choisit de leur attribuer, et non comme l’étalon absolu par rapport auquel doivent être mesurées les variations culturelles, alors les traits contrastifs qu’elle présente au regard d’autres formules ontologiques deviennent beaucoup plus manifestes. Philippe Descola - retrouvez toute l'actualité, nos dossiers et nos émissions sur France Culture, le site de la chaîne des savoirs et de la création. Nous avons déjà dit à quel point nous semblait artificielle cette opposition entre l’universalité des explications nomothétiques et la relativité des interprétations historiques et sociologiques, simple traduction dans des positions épistémologiques en apparence contraires d’une division empirique du travail entre les sciences de la nature et les sciences de la culture, qui fut assurément nécessaire en son temps pour isoler des domaines d’objet positifs, mais dont la cristallisation dans une vaine querelle philosophique constitue plutôt à présent un obstacle au progrès de la connaissance. Professeur au Collège de France de 2000 à 2019 dans la chaire d’Anthropologie de la nature, Philippe Descola y a dirigé jusqu’en 2013 le laboratoire d’anthropologie sociale (UMR 7130, laboratoire mixte du Collège de France, de l’EHESS et du CNRS) tout en conservant une direction d’études à l’EHESS. Vérifiez si votre institution a déjà acquis ce livre : authentifiez-vous à OpenEdition Freemium for Books. 13On sait les difficultés qu’un tel dilemme engendre. De même, les différents types de trame ne sont pas équivalents à des cultures : ce sont les schèmes au moyen desquels s’organise la vie collective et se construisent des significations partagées. 11Il suffit pour s’en convaincre de voir les difficultés que la pensée dualiste affronte lorsqu’elle doit répartir les pratiques et les phénomènes dans des compartiments étanches, difficultés que révèle bien le langage commun. Médaille d’or du CNRS en 2012, directeur d'études à l’EHESS, normalien, philosophe de formation, Philippe Descola a été professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Anthropologie de la nature de 2000 à 2019. Anthropologie de la nature -- Anthropologie de la nature -- Anthropologie de la nature -- Anthropologie de la nature -- Anthropologie de la nature -- Anthropologie de la nature -- Anthropologie de la nature -- Deux conférences -- Rhétorique et argumentation dans les sciences humaines -- « L’ontologie sur la glace ». Annuaire 109 e année, Collège de France, Paris, mars 2010, p. 521-538.ISBN 978-2-7226-0083-6. 9Ce sont ces marges controversées que mon maître Claude Lévi-Strauss avait aussi choisi d’investir lorsqu’il rétablit au Collège de France l’enseignement de l’anthropologie, donnant à cette discipline peu connue à l’époque en dehors des cercles spécialisés, le lustre et l’autorité dont elle jouit à présent dans notre pays. 5Peut-être ne faut-il pas le regretter puisque c’est cette tension initiale qui, pour une large part, lui donnera sa raison d’être et sa dynamique. Car si cet admirateur de Bernardin de Saint-Pierre a décrit la faune et la flore sud-américaines dans une langue imagée qui charma ses contemporains, il fut aussi le fondateur de la géographie entendue comme science de l’environnement, et lorsqu’il étudiait un phénomène en géologue ou en botaniste, c’était pour le lier aux autres phénomènes observables dans le même milieu, sans en exclure les faits historiques et sociologiques, et pour s’employer ensuite à éclairer les relations ainsi dégagées par la considération de situations analogues dans d’autres régions du monde. Courriel :publications@college-de-france.fr, URL :http://www.college-de-france.fr/site/publications/index.htm, Adresse : 11, place Marcelin Berthelot 75231 Paris Cedex 05 France. 3 Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Introduction by Claude Lévi-Strauss, Paris, PUF, 1950, p ; 9 It is hardly surprising that ethnology, to which Mauss devoted most of his teaching at the Collège de France, seemed to him to be the most appropriate way of implementing this totalizing aspiration. Nouvelle édition [en ligne]. Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search, Descola, P. 2001. Référence électronique. On voit pourtant que la communauté de destin entre la personne humaine et son double est bien différente de la continuité matérielle et spirituelle postulée par les Nungar, d’abord parce que l’animal est ici une individualité et non une espèce prototypique dépositaire de propriétés partagées, mais aussi parce qu’un humain ne possède pas les traits idiosyncrasiques du tona auquel il est apparié et dont il ignore souvent la nature. Son existence est positionnelle et non intrinsèque, sa mise en évidence tributaire de la méthode comparative. Car la création d'une chaire d'Anthropologie de la nature au Collège de France exprime le souhait que soit assurée la continuité d'un programme d'anthropologie fondamentale dont l'auteur de Cosmos fut l'un des premiers à tracer l'ébauche: comprendre l'unité de l'homme à travers la diversité des moyens qu'il se donne pour objectiver un monde dont il n'est pas dissociable. Disponible sur Internet : . 4 Claude Lévi-Strauss, Le Regard éloigné, Paris, Plon, 1983, p. 164-165. Car, lorsque vous avez souhaité que soit créée une chaire d’Anthropologie de la nature, et quand vous m’avez fait le grand honneur de m’en confier la charge, Monsieur l’Administrateur, mes chers collègues, vous avez voulu assurer la continuité d’un programme d’anthropologie fondamentale dont l’auteur de Cosmos fut l’un des premiers à tracer l’ébauche : comprendre l’unité de l’homme à travers la diversité des moyens qu’il se donne pour objectiver un monde dont il n’est pas dissociable. Que de temps gagné, peut-être, si cette maison avait pu accueillir un savant que Franz Boas, le pionnier de l’anthropologie nord-américaine, tenait pour un modèle et la source de sa vocation, un grand européen qui écrivit une bonne partie de son œuvre en français et dont l’attachement à l’esprit des Lumières se maintint vivace bien après que les circonstances politiques n’y fussent plus favorables. ISBN 978-2-7226-0198-7. Anthropologie de la nature - Réédition de la vidéo de la leçon inaugurale du Pr Descola. Meanings and Examples », Oceania vol. C’est pourquoi l’anthropologie structurale, outre les innovations remarquables qu’elle a permises dans ces domaines classiques que sont l’étude de la parenté et l’analyse des mythes, a également perpétué et enrichi l’idée maussienne de l’homme total en proposant une audacieuse théorie de la connaissance dans laquelle « l’esprit accomplit des opérations qui ne diffèrent pas en nature de celles qui se déroulent dans le monde4 ». Les règles de la parenté et de l’alliance matrimoniale, les modes d’usage et d’aménagement de l’environnement physique, les systèmes techniques, les formes de l’échange, les conceptions de la personne, du corps et de l’infortune, le savoir sur le monde et les dispositifs classificatoires qui l’accompagnent, tout cela traduit un large éventail de fonctions physiologiques, de particularités anatomiques, de schèmes moteurs, de facultés cognitives que l’on ne saurait dissocier des formes instituées au sein desquelles ils sont exprimés. C’est en ce sens, volontiers militant nous le concédons, que l’on peut parler d’une anthropologie de la nature. DOI : https://doi.org/10.4000/books.cdf.1325. Pour citer cet article Référence papier. Mais il ne s’agit pas ici de ces différences ostensibles entre ce que nous nommons les cultures, prétextes à la délectation herméneutique où se complaît le relativisme, ni de cette unique différence de nature entre humains et non-humains par rapport à laquelle toutes les autres différences se trouveraient authentifiées. Référence électronique. Ce genre de démarche ne nous tente guère car l’aventure de l’esprit s’en est absentée ; comme l’écrit Mauss « quand une science fait des progrès, elle ne les fait jamais que dans le sens du concret, et toujours dans le sens de l’inconnu. Descartes, Locke, Leibniz et quelques autres encore n’ont pas manqué de remarquer que les phrases prononcées par le perroquet ne constituent aucunement un indice de son humanité puisque ce volatile ne saurait adapter les impressions qu’il reçoit des objets extérieurs aux signes qu’il reproduit par imitation, raison pour laquelle il serait bien en peine d’inventer des langages nouveaux. Ce familier des ordures est en effet l’avatar le plus commun du tona, un double animal dont le cycle de vie est parallèle à celui de chaque humain, puisqu’il naît et meurt en même temps que lui, et que tout ce qui porte atteinte à l’intégrité de l’un touche l’autre simultanément11. La démarche est inverse de celle qu’adoptait Ruth Benedict pour mettre en évidence ses patterns de culture : au lieu de jeter son dévolu sur un ensemble borné au préalable, à qui l’on impute une unité abstraite et transcendante, source mystérieuse de régularités dans les comportements et les représentations, on s’attachera plutôt à repérer le champ couvert par certains schèmes sous-jacents aux pratiques dans des collectivités dont les dimensions peuvent être très variables puisque leur bornage n’est pas fixé par la coutume locale ou par l’espace d’observation qu’un ethnographe peut embrasser, mais par des sauts qualitatifs dans la stylisation de l’expérience du monde. 6On sait les efforts que déploya Marcel Mauss pour guider l’anthropologie hors de cette impasse. Paris : Collège de France, 2001 (généré le 05 janvier 2021). Il faut plutôt prendre cette notion au sens que lui donne la psychologie cognitive, à savoir des dispositions psychiques, sensori-motrices et émotionnelles, intériorisées sous forme d’habitus grâce à l’expérience acquise dans un milieu social donné, et qui permettent l’exercice d’au moins trois types de compétence : d’abord, structurer de façon sélective le flux de la perception en accordant une prééminence significative à certains traits et processus observables dans l’environnement ; ensuite, organiser tant l’activité pratique que l’expression de la pensée et des émotions selon des scénarios relativement standardisés ; enfin, fournir un cadre pour des interprétations typiques de comportements ou d’événements, interprétations admissibles et communicables au sein de la communauté où les habitudes de vie qu’elles traduisent sont acceptées comme normales. Par contraste avec le vautour des Otomi, singularité anonyme demeurant étrangère à la personne à laquelle elle est couplée par une même destinée, le toucan des Achuar est donc membre d’une collectivité de même nature que celle des hommes et, en tant que tel, sujet potentiel d’un rapport social avec n’importe quelle entité, humaine ou non humaine, placée dans la même situation. Et, bien que ce point de vue ait fait l’objet de maintes critiques, nous n’en continuons pas moins à y adhérer spontanément lorsque nous admettons que les humains se distinguent des non-humains par la conscience réflexive, la subjectivité, le pouvoir de signifier, la maîtrise des symboles, et le langage au moyen duquel ces facultés s’expriment. 12Telle n’est pas notre conviction ; mais c’est bien ainsi, pourtant, que l’anthropologie a longtemps conçu sa tâche. En apparence, en effet, l’anthropologie de la nature est une sorte d’oxymore puisque, depuis plusieurs siècles en Occident, la nature se caractérise par l’absence de l’homme, et l’homme par ce qu’il a su surmonter de naturel en lui. Une coproduction Collège de France - CNED. De là résultent les grandes controverses sur l’animisme, le totémisme ou les religions naturistes dans lesquelles s’affrontèrent les fondateurs de la discipline, tous également attachés à trouver une origine unique — qu’elle fût psychique, sociale ou expérimentale — à des constructions intellectuelles qui, en négligeant les distinctions entre les hommes et les entités naturelles, paraissaient aller à l’encontre des exigences de la raison. Ce domaine est pour nous celui de l’ethnographie, un savoir accumulé depuis plus d’un siècle sur des milliers de peuples de par le monde et dont, pour y avoir contribué à notre échelle et l’avoir pratiqué en lecteur assidu, nous croyons être à même d’évaluer la portée et les limites. L’anthropologie ne songe aucunement à réclamer le monopole de l’étude de ces faits d’interface que d’autres sciences prennent également pour objet, et peut-être donne-t-elle même à présent l’impression de reculer devant l’ampleur de la tâche, trouvant un refuge plus accommodant dans la seule érudition ethnographique ou dans la justification narcissique de l’impossibilité de produire une connaissance sur autrui. Mais la nature n'existe pas comme une sphère de … 3 Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, précédé d’une « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss » par Claude Lévi-Strauss, Paris, PUF, 1950, p. 365. Les tribus Nungar du sud-ouest de l’Australie étaient organisées en moitiés exogames nommées d’après deux oiseaux : le cacatoès blanc, Cacatua tenuirostris, dont le nom autochtone, maarnetj, peut être traduit par « l’attrapeur », et le corbeau Corvus coronoides, appelé waardar, terme qui signifie « le guetteur ». Descola, Philippe. Résumé des cours et travaux 115 e année, Paris, Collège de France, novembre 2016, p. 673-674. Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540. C’est sans doute un tel mécanisme que Georges-André Haudricourt avait à l’esprit lorsqu’il distinguait ces deux formes de traitement de la nature et d’autrui que sont l’action indirecte négative et l’action directe positive7. Philippe Descola Collège de France - Année 2018/2019 Anthropologie de la nature Qu'est-ce que comparer ? Nous ne ferions ainsi que reconduire le système cosmologique qui nous est le plus familier. Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search.

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