Et trop de déceptions derrière soi. Ce contact direct incite effectivement à remettre en cause ce qu’on pensait des animaux du fait de l’éducation qu’on reçoit et qui, à l’exception de quelques espèces domestiquées, fait d’eux plutôt des signes et des symboles que des êtres avec lesquels on interagit au quotidien, des partenaires de la vie sociale… Cet élément est central, et d’une certaine façon cette dimension nous est donnée de façon plus immédiate à nous les ethnologues qui partons dans des pays lointains, alors que dans le cas du travail historique il faut sans doute, pour voir les animaux autrement, procéder au préalable à un travail réflexif de mise à distance des schèmes au moyen desquels les animaux sont perçus dans l’Europe moderne. A quoi a servi tout ce que j'ai réal… Chacun s'est résigné quand quelques requins y vont vu un territoire à conquérir. Parce qu’ils observent des manières de vivre la condition humaine très différentes de celles qui ont cours en Europe, ils sont immédiatement sensibles à la diversité des choses et des conditions. Il n’y a qu’en Occident que l’on invente la révolte du peuple. Le fait de partager le quotidien de populations environnées d’animaux et qui les traitent de façon très différente de celles que l’on peut connaître dans son pays d’origine produit une expérience fondatrice de l’altérité. 2  Philippe Descola, « Pourquoi les Indiens d’Amazonie n’ont-ils pas domestiqué le Pécari ? Elle est même constitutive de l’anthropologie, mais à la différence des études folkloristes qui s’intéressaient à des textes, les anthropologues ont tenté de comprendre l’immédiateté du rapport et le tissu d’institutions qui réunissaient les humains et les animaux dans un même ensemble. 29 « Pour bien comprendre la véritable nature de la création, il faut se rappeler qu’il n’y avait pas ; 31 Bien plus, l’acte artistique ainsi conçu assimile peintres et musiciens à des dieux, et les rapproche de l’acte créateur originaire. AccueilRevue d'histoire du XIXe siècle54DossierLes animaux et l’histoire, par-de... Entretien réalisé le 15 janvier 2016, au collège de France (Paris), par Quentin Deluermoz et François Jarrige. 7 L'espoir est ce qui nous fait tenir, lorsque tout semble perdu d'avance. Ce projet a abouti en 2005 à la publication d’un grand livre, Par-delà nature et culture, dont les historiens n’ont sans doute pas encore tiré toutes les conclusions pour nourrir leur propre réflexion. 10  Philippe Descola, Les lances du crépuscule. Nous avons rencontré Philippe Descola pour évoquer avec lui la place des animaux dans la réflexion des sciences sociales, en particulier des historiens, puis leur rôle dans les diverses cosmologies, leur place au XIXe siècle, et plus largement dans sa propre réflexion. Toutes les informations rapportées à cette époque allaient dans le même sens d’une indistinction entre animaux humains et non humains, tout ce qui n’était pas occidental n’était qu’une vaste pelote exotique à l’intérieur de laquelle des distinctions n’étaient pas faites. Pour des périodes comme le XIXe siècle c’est possible, Marx l’a fait pour l’économie et pas mal de gens l’ont fait pour les institutions politiques, mais réduire cette diversité à une ontologie est beaucoup plus délicat. C’est une ontologie très singulière. Ce livre avait au moins 150 pages de plus et Pierre Nora, dans sa grande sagesse (rire), m’a suggéré de couper, car la tentation de l’histoire universelle est un risque dans ce genre de projet. L’invention de l’écologie aux colonies 1600-1854, Paris, La Découverte, 2013. Mais il est clair qu’il y a maintenant des animal studies bien établies. et préface d’Emmanuel Désveaux Paris, EHESS, 2016. III, Comment la vérité et la réalité furent inventées, L'avènement de la démocratie Il est conçu comme un partenaire social avec lequel des rapports de compétition et de solidarité sont possibles, conçu comme un beau-frère générique, comme un séducteur aussi, donc animé d’une intentionnalité, en tous cas d’une agency intentionnelle très proche de celle des humains et en même temps qui s’en distingue en vivant dans un monde bien différent, celui de la canopée, monde qui est l’actualisation des dispositions physiques logées dans son corps. Voici une première réponse à votre question : sous l’angle de ce que l’on appelait les religions primitives, l’étude du rapport aux animaux est constitutive de la discipline anthropologique. Au-delà de cela, il est indispensable d’échapper à la notion de représentation (politique) et au fait que ce sont toujours les humains qui représentent les autres êtres. 15 Le désespoir, faut vivre avec. – des conceptions des animaux qui fondamentalement se distinguent des nôtres, comme de celle des occidentaux du XIXe siècle. Comment des collectifs de compositions différentes peuvent-ils coexister ? Seul l'Occident moderne s'est attaché à classer les êtres selon qu'ils relèvent des lois de la matière ou des aléas des conventions. Le contact direct avec les bêtes que vous évoquez dans le récit de votre terrain chez les Achuar change-t-il quelque chose ? 1  Vanessa Manceron, ‘What is it like to be a bird? RH 19 : Une dernière question peut-être plus personnelle : en relisant vos textes, nous y repérons un désir d’utopie, ou du moins une recherche d’un monde un peu plus juste, pourriez-vous expliciter davantage cet horizon utopique et politique ? Portail de ressources électroniques en sciences humaines et sociales, Colloque, séminaire, prochains numéros, AG, vente anciens numéros, Catalogue des 552 revues. C'est un choc. L’anthropologue Philippe Descola nous a fait reconsidérer l’idée de nature. Philippe Descola : Je m’adresse à des historiens, il faut donc périodiser. Je dis parfois qu’il s’agit de plis qu’on choisit d’accentuer ou d’ignorer pour en faire des systèmes de différences. Est-ce lié à la précocité des mouvements de protection de la cause animale au Royaume-Uni ? Keith Thomas décrit par exemple des expéditions au XVIe siècle en vue de massacrer des animaux sauvages – des cerfs dans les domaines aristocratiques –, où pour embêter son voisin on partait faire des chasses sauvages et on massacrait tous ses cerfs. Noir c'est noir... Il n'y a plus d'espoir... Vous aussi, vous avez tiré votre révérence, vous, l'Idole des jeunes devenu une Vieille Canaille au coeur tendre. Littérature française; Littérature étrangère Ce travail, je l’envisage comme un savant, c’est-à-dire en cherchant à comprendre et en luttant contre le langage eurocentrique ou ethnocentrique des sciences sociales, langage qui a été indispensable dans la trajectoire d’émancipation de l’Europe moderne, mais qui est désormais déformant pour comprendre non seulement les réalités extra-européennes, mais aussi le monde qui émerge sous nos yeux. 9  Frédéric Thomas, « Protection des forêts et environnementalisme colonial : Indochine 1860-1945 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 56/4, 2009, p. 104-136 ; ou James Fairhead et Melissa Leach, Misreading the African Landscape. 11  Peter Singer, La libération animale, Paris, Payot, 1975. S’agit-il de niveaux différents d’action (histoire/structure), ou y a-t-il croisements et accélérations ? Les anthropologues sont des urbains, pas forcément ab initio mais ils ont fait des études dans des villes et y vivent. Et on peut dire la même chose des plantes. Dans Par-delà nature et culture, vous êtes peut-être plus prudent encore en soulignant que les autres ontologies ne fournissent pas de solution et que c’est à chacun d’œuvrer à la construction d’un monde plus juste. Même si les cas avérés sont en réalité très peu nombreux, c’est devenu une véritable épidémie de peurs et d’angoisses dans les communautés autochtones. Sous-catégorie Sa beauté, son courage, sa patience et son sens élevé du sacrifice qui sont tels que bien des hommes en sont indignes ! 4  Dans les croyances amérindiennes, le nagual est un être mythologique à la fois humain et animal, un esprit tutélaire qui peut être un animal particulier, concret, ou bien le représentant abstrait d’une espèce. 212 Il considère que ce type d’existence est supérieur à nos pratiques occidentales dominantes tout en affirmant qu’il n’y a aucune commune mesure possible entre le monde d’un chasseur-cueilleur, un Inuit ou un Aborigène australien, et celui d’un savant contemporain. Depuis la fin du XIXe siècle, l’étude du nagualisme a beaucoup intéressé archéologues, linguistes et ethnologues. Society and Ecology in a Forest-Savanna Mosaic, Cambridge, Cambridge University Press, 1996. - Il faut mentionner le travail de Richard Grove et son ouvrage sur « l’impérialisme vert »8. Ainsi meurt l'enfant quand naît l'adolescent, la chenille quand s'envole le papillon, Les praticiens n’aiment pas faire de l’histoire présentiste et n’ont pas toujours le recul nécessaire pour saisir comment cela s’est passé. Genre : Études et monographies On voit très bien comment des systèmes différents de rapport à l’animal peuvent coexister, car l’animal nouveau n’apparaît pas seul, mais avec l’ensemble des techniques domesticatoires, des formes d’alimentation et des représentations transmises par le colonisateur, et il est donc placé dans une « niche », elle-même nouvelle, qui peut induire des comportements tout à fait différents de ceux que l’on a vis-à-vis des animaux autochtones. – portent en grande partie sur ces questions : comment peut-on considérer qu’un animal est un ancêtre, un parent, un double, un interlocuteur ? Concernant le XIXe siècle et la colonisation, il y a bien sûr des formes d’accélération, mais je pense profondément qu’il faut commencer en amont, à l’époque des premières expansions coloniales ibériques qui ont eu des effets bien après. Quand on est très admiratif, on a une facheuse tendance à se sous-estimer. Je suis un américaniste et j’observe comment se propagent des représentations des amérindiens qui naissent au XVIe et se perpétuent jusqu’au XXe siècle, y compris les préjugés et le traitement de ces populations par les colonisateurs. Il n'y a pas de cours de chinois sur le site. Pour une part peut-être majoritaire des populations du temps, la place des animaux et le rôle des plantes n’obéissent pas – ou pas toujours – à la répartition naturaliste. Cet ouvrage qui a exercé une grande influence repense en effet en profondeur notre cosmologie naturaliste et en rappelle le caractère relatif. J’ai proposé des principes qui me paraissaient pertinents pour comprendre quand même pour l’essentiel la vie des collectifs non modernes extérieurs à l’Europe, mais j’ai été très intéressé de voir que des historiens se sont emparés de ces propositions pour étudier empiriquement des périodes particulières ; j’ai été intéressé de voir par exemple une très belle thèse d’un élève de Jean-Claude Schmitt sur l’animalité au Moyen-Âge5 où il périodise précisément les conceptions ou le traitement de l’animal, en montrant le passage d’un champ typiquement analogiste aux prémices du naturalisme. Mais les grands classiques de l’anthropologie historique de la Grèce que je lisais à l’époque, comme Gernet, Vernant, ou Vidal-Naquet, ne semblaient pas particulièrement s’intéresser à cette question, même si Vidal-Naquet avait écrit sur le gibier et le chasseur. Philippe Descola : Il s’agit en effet d’une croyance très diffusée, et qui s’étend encore à l’heure actuelle. Est-ce uniquement le résultat de l’observation de sociétés autres qui n’avaient pas encore évacué le monde animal des interactions sociales communes ? La densité de la présence européenne joue évidemment aussi un grand rôle dans ces processus, les premiers Européens présents à l’époque moderne sont souvent des pionniers qui adoptent les modes de vie des populations avec lesquels ils vivent, ils sont en quelque sorte les premiers ethnologues, même si, à l’instar des coureurs des bois de l’Amérique du Nord française, ils n’ont malheureusement pas laissé de documents. On peut faire le même constat pour l’Afrique9. À partir de ce terrain initial, il a proposé une vaste analyse des sociétés modernes du point de vue de la pluralité de leurs « ontologies » et de la diversité des relations entre « humains et non-humains ». La question des animaux, d’une manière générale, occupe une place singulière et centrale dans cette œuvre très vaste et ambitieuse. Les registres d’élevage, ou livre d’origine (studbook en anglais), c’est-à-dire les registres de recensement d’animaux appartenant à une certaine espèce, sous-espèce, race ou lignée, et dont les parents sont connus, sont certes plus anciens mais la normalisation de la production animale se généralise surtout à cette époque pour répondre aux besoins de sociétés en expansion. La femme est une fleur pensante et intelligente, la plus belle des fleurs de la Création. RH 19 : Le retour à la maison de l’anthropologie dans les années 1970-1980, qui apparaît notamment dans la collection « Terre Humaine », a lui aussi mis le doigt sur la présence dans les sociétés industrialisées d’une multitude d’acteurs minoritaires ou invisibles qui n’étaient pas encore complètement insérés dans la cosmologie naturaliste. Par rapport aux travaux des historiens, l’intérêt des ethnologues à cet égard est fondé sur la perplexité et l’étonnement de découvrir encore vivaces des attitudes et des coutumes qu’on aurait pu penser relever d’un passé très ancien à une époque – la fin du XIXe siècle – par ailleurs très rationaliste et dans laquelle la distinction entre nature et culture paraissait aller de soi sur un plan épistémologique pour les élites européennes. RH 19 : Nous voudrions revenir sur la question des méthodes d’enquête et leur rôle dans les différences de traitement dont font l’objet les animaux chez les historiens et les anthropologues. Ils invitent à se demander si toute la population, y compris en Europe, partageait la nouvelle cosmologie naturaliste. ], Bêtes à pensées. Et pouvez-vous expliciter en quoi notre cosmologie naturaliste instaure un nouveau régime d’existence des bêtes ? Voici comment je conçois le travail des intellectuels. Alors qu’un animal turn semble se dessiner depuis une vingtaine d’années dans les sciences sociales, l’anthropologie et l’ethnologie ont sans doute été les premières à mettre les animaux au cœur de leurs analyses, bien avant l’histoire. Et puis est né, bien plus tard, cet animal turn que vous évoquez. Société d'histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle. La différence entre les Achuar et les toucans ne passe donc pas là où nous l’établissons : les uns comme les autres sont des personnes, avec une subjectivité, une dimension morale et les oiseaux se voient du reste comme des humains ; mais leur nature de toucan les distingue irrémédiablement des humains car elle les conduit à vivre dans un monde qui n’intersecte que très partiellement avec celui des Achuar. Philippe Descola : Dans mon ouvrage, j’ai introduit l’histoire sous une forme structurale car cela me semblait au fond la seule manière de faire étant donné les éléments dont je disposais et compte tenu du fait je ne suis pas historien. I, L'avènement de la démocratie Même un anthropologue anarchiste comme Pierre Clastres est alors passé à mon avis à côté de cette question du rapport aux non-humains, c’était quelqu’un de compliqué, proche de « socialisme ou Barbarie », mais qui demeurait très socio-centré. Mais nous, anthropologues intéressés par le comparatisme, nous n’avons pas accès à la totalité des traitements individuels de ces plis, nous n’avons accès qu’à des choses déjà systématisées, soit par des individus particulièrement doués ou ayant une attitude réflexive plus poussée que d’autres à l’égard de leur monde, soit par des historiens, ou des ethnologues qui vont produire la synthèse locale et temporaire de l’objectivation de certains de ces plis par le groupe humain auquel ils s’intéressent. Il s’agit d’une histoire longue. Socrate. RH 19 : Dans les Lances du crépuscule vous faites allusion à d’anciennes croyances andines partagées par de nombreuses tribus d’Amazonie, qui attribuaient aux Blancs un appétit insatiable pour la graisse des indigènes qu’ils auraient obtenue en les faisant cuire dans de grandes marmites, et certains prétendent que « ces pratiques macabres serv[ai]ent en réalité à approvisionner en lubrifiant et combustible les machines gigantesques grâce auxquelles les Blancs ont établi leur pouvoir sur le monde, monstrueux Moloch d’acier qu’un sacrifice permanent doit alimenter »10. J’ai appelé cela un « scandale logique », c’est du moins ainsi que cela apparaissait aux yeux des contemporains, et c’est ce scandale pour la raison qui a été en grande partie à l’origine de la réflexion anthropologique. "Après tout, il doit être assez agréable de se donner à soi-même, et de donner aux gens, par le seul fait de se déboutonner, la sensation de découvrir l'Amérique. Dès lors, quels sont les effets de la domination coloniale ? Relations Jivaros, haute Amazonie, Paris, Plon, 1993, p. 161. Vous évoquiez les folkloristes, mais chez les historiens il y a encore parfois une étude qui peut sembler un peu naïve des représentations des animaux à partir des productions culturelles. Elle a observé que beaucoup des figures centrales de la primatologie étaient des femmes, ce qui l’a poussé à interroger la naturalité du rapport hommes/animaux, entre le soin – care – aux animaux et des dispositions qui seraient spécifiquement féminines, etc. Philippe Descola : Il existe de nombreux travaux d’historiens passionnants sur la préfiguration des modes de gestion disons « modernes » de la nature dans les Empires coloniaux du XIXe siècle, les premières réserves naturelles sont édifiées dans les Empires bien avant les métropoles. VIDÉO - Crash d'un Boeing 737 en Indonésie : les boîtes noires localisées, plus d'espoir de retrouver des survivants 2021-01-10T12:13:00.000Z Lire et commenter > Que peuvent apporter les sciences sociales, qu’elles soient histoire, sociologie ou anthropologie, à de telles interrogations ? Oui, c’est tout à fait possible, il n’y pas de limite de temps, ni de distance.

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