Il s’agissait de spectacles appréciés tant par le peuple que par l’aristocratie. Cette histoire des structures était une façon d’envisager des transformations structurales en se déplaçant, non pas dans le temps en suivant l’évolution de certains traits et leur réorganisation dans des ensembles nouveaux, mais dans l’espace, en l’occurrence du nord de l’Amérique du Nord au sud de la Sibérie, afin de voir comment l’on peut passer d’une ontologie à une autre par des étapes intermédiaires. Ainsi le père Kemlin, parti en 1898 en Cochinchine Orientale chez les populations Moï des hauts plateaux, raconte comment une femme passe un contrat avec un tigre et il commente longuement le contrat et les conditions dans lesquelles il est passé. Mais ça prend d’autres formes aujourd’hui dans toute l’Amérique latine indigène, notamment à travers la hantise du trafic d’organes. Personnellement beaucoup de chats ont partagé ma vie depuis mon enfance ; à une époque j’ai également beaucoup monté à cheval, j’étais donc familier d’une certaine classe d’animaux. La littérature est aussi une bonne source pour cela. Nous songeons par exemple au petit groupe de ceux qu’on appelle les « anarchistes naturiens » à la fin du XIXe siècle, soucieux de réinventer un nouvel équilibre socio-écologique en se mettant à l’école des populations primitives de mieux en mieux connues à l’époque. L'anthropologie n'a pas encore pris la mesure de ce constat : dans la définition même de son objet – la diversité culturelle sur fond d'universalité naturelle –, elle perpétue une opposition dont les peuples qu'elle étudie ont fait l'économie. Raboliot et d’autres figures comme lui vivent dans un certain isolement, ils n’ont pas les moyens de systématiser une culture animiste car il faut être beaucoup pour échanger et produire des sous-cultures. Il faut aller bien au-delà et tenter de concevoir comment des milieux de vie pourraient être eux-mêmes porteurs de droits, droits dont les humains seraient en quelque sorte des extensions. On est dans un dispositif ontologique dans lequel des animaux sont en fait une incarnation de qualités qui leur préexistent. Sa pensée a profondément influencé l’écologie, et dessine la voie d’une nouvelle relation entre les humains et le monde dans lequel ils sont plongés. VIDÉO - Crash d'un Boeing 737 en Indonésie : les boîtes noires localisées, plus d'espoir de retrouver des survivants 2021-01-10T12:13:00.000Z Lire et commenter Comment expliquer cette primauté ? La femme est une fleur pensante et intelligente, la plus belle des fleurs de la Création. Comment en une période très brève – en un siècle – passe-t-on d’une attitude de ce type à des sociétés de protection de la nature tout en acceptant au fond que des animaux domestiques soient utilisés dans des mines, dans des transports – je pense aux chevaux en particulier – comme des objets corvéables à merci, mais aussi durant les guerres où les animaux deviennent de la chair à canon ? C’est donc aussi tout le système juridique qui est à repenser. Philippe Descola : Sans doute. RH 19 : Dans votre travail vous avez tenté de comprendre les fondements ontologiques de l’Occident en distinguant plusieurs manières possibles de distribuer les existants. Portail de ressources électroniques en sciences humaines et sociales, Colloque, séminaire, prochains numéros, AG, vente anciens numéros, Catalogue des 552 revues. Beaucoup de travaux historiques et anthropologiques se sont intéressés à ces questions, je pense notamment à l’ethnologue Vanessa Manceron et à son travail sur le destin parallèle des ligues de protection des oiseaux en France et au Royaume-Uni1. En même temps ces prototypes reçoivent dans des espèces nommément désignées l’incarnation, l’incorporation de certaines de leurs qualités. Par ailleurs, il existe sans doute plusieurs XIXe siècles ; après 1860 l’indigénisation s’accélère à l’heure du nouvel impérialisme et des nombreuses expéditions vers des territoires nouveaux, comme l’Afrique, qui demeuraient mal connus auparavant. La question des animaux, d’une manière générale, occupe une place singulière et centrale dans cette œuvre très vaste et ambitieuse. C'est un choc. Quand il n'y a plus d'espoir, que la justice n'est plus qu'une idée râpée et défraichie, il ne reste que la vengeance. Quand les approches d’écriture, proposées par Georges Perec, qui fut oulipien et bien plus, sont mises en œuvre dans les ateliers d’écriture, on peut constater combien ces opérations, qui fracturent le sens et ouvrent l’écrit, correspondent aux pratiques du Talmud et de la Cabbale. RH 19 : Le retour à la maison de l’anthropologie dans les années 1970-1980, qui apparaît notamment dans la collection « Terre Humaine », a lui aussi mis le doigt sur la présence dans les sociétés industrialisées d’une multitude d’acteurs minoritaires ou invisibles qui n’étaient pas encore complètement insérés dans la cosmologie naturaliste. Le totémisme est contre-intuitif mais fascinant, ce n’est pas un hasard s’il a fasciné tous les grands savants des XIXe-XXe siècles. Il faut mentionner le travail de Richard Grove et son ouvrage sur « l’impérialisme vert »8. Oui, c’est tout à fait possible, il n’y pas de limite de temps, ni de distance. RH 19 : Dans les Lances du crépuscule vous faites allusion à d’anciennes croyances andines partagées par de nombreuses tribus d’Amazonie, qui attribuaient aux Blancs un appétit insatiable pour la graisse des indigènes qu’ils auraient obtenue en les faisant cuire dans de grandes marmites, et certains prétendent que « ces pratiques macabres serv[ai]ent en réalité à approvisionner en lubrifiant et combustible les machines gigantesques grâce auxquelles les Blancs ont établi leur pouvoir sur le monde, monstrueux Moloch d’acier qu’un sacrifice permanent doit alimenter »10. Dès lors, quels sont les effets de la domination coloniale ? Ce sont donc des prototypes totémiques qui, à l’époque où ils vivaient sur la terre, n’avaient pas du tout l’apparence des oiseaux tels qu’ils sont actuellement et qui sont à l’origine des deux classes au sein desquelles les humains et les non humains sont réunis. Philippe Descola : Oui, mais ils ne systématisent pas, c’est ça la différence. L’urubu, le vautour noir du Mexique, est assez souvent un double de la personne humaine – il y en a d’autres ; il naît en même temps qu’un humain, se développe aussi et tous les accidents qui pourront lui arriver se répercuteront sur les humains, de même que les accidents qui arrivent aux humains se répercuteront sur lui. De plus, comme les phénomènes sont impermanents, ils sont transitoires, ils n'existent pas durablement. Elle est même constitutive de l’anthropologie, mais à la différence des études folkloristes qui s’intéressaient à des textes, les anthropologues ont tenté de comprendre l’immédiateté du rapport et le tissu d’institutions qui réunissaient les humains et les animaux dans un même ensemble. Imagination zoologique et proximité à distance chez les amateurs d’oiseau en Angleterre’, in Michèle Cros, Julien Bondaz et Frédéric Laugrand [dir. Concernant le XIXe siècle et la colonisation, il y a bien sûr des formes d’accélération, mais je pense profondément qu’il faut commencer en amont, à l’époque des premières expansions coloniales ibériques qui ont eu des effets bien après. Ce qui fait souffrir, c'est l'espoir. Je pense aussi au livre de Robert Delort, Les animaux ont une histoire, ou à l’ouvrage de Jean-Claude Schmitt sur le saint lévrier. Au fond ce que j’ai voulu faire depuis des années c’est de distinguer des phénomènes là où l’anthropologie les avait auparavant réunis. Le Rock a le blues. URL : http://journals.openedition.org/rh19/5191 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rh19.5191, Voir la notice dans le catalogue OpenEdition, Nous adhérons à OpenEdition Journals – Édité avec Lodel – Accès réservé, Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search, Les animaux et l’histoire, par-delà nature et culture. Chacun s'est résigné quand quelques requins y vont vu un territoire à conquérir. C'est en ce sens que l'on parle de non-soi, de vacuité d'existence propre. Seul l'Occident moderne s'est attaché à classer les êtres selon qu'ils relèvent des lois de la matière ou des aléas des conventions. Elle vient des élites bien sûr – songeons à la course hippique – mais elle se généralise aussi avec les haras si mes souvenirs sont bons. Derrière cette légende il y a la dénonciation de l’exploitation physique et prédatrice, et à mesure que les capacités des colonisateurs évoluent sur le plan technique l’usage auquel on destine la graisse change. Cet ouvrage qui a exercé une grande influence repense en effet en profondeur notre cosmologie naturaliste et en rappelle le caractère relatif. Il me semble par ailleurs que ce qui était l’un des aspects les plus typiques dans l’épanouissement du naturalisme au XIXe siècle, c’était précisément la transformation des animaux domestiques en une source de force et d’énergie, en particulier pour le transport et donc leur industrialisation, avec le développement de la zootechnie. L'article étudie la rencontre de Nietzsche et de Baudelaire sur la question de l'art. Parce que depuis très longtemps ils fournissent aux humains une matière à penser du fait de très grandes proximités avec eux, en dépit des différences morphologiques, dans leur comportement, dans leur développement ontogénétique et dans leur système de communication. Rappelons d’abord que l’anthropologie est née d’une bizarrerie rapportée par les observateurs : dans de nombreuses parties du monde sous domination coloniale les gens ne semblaient pas établir de différences très tranchées entre les humains et les animaux, les plantes et les esprits ou d’autres formes de vie présumées présentes dans l’environnement. J’ai appelé cela animisme : les intériorités des humains et des non-humains sont semblables, mais ils se distinguent par leur corps. RH 19 : Nous voudrions revenir sur la question des méthodes d’enquête et leur rôle dans les différences de traitement dont font l’objet les animaux chez les historiens et les anthropologues. Ma contribution vise à proposer des reformulations des concepts à partir desquels nous pensons le monde, c’est par exemple ce que je tente de faire avec le concept de « collectif », emprunté initialement à Bruno Latour, mais que j’envisage de façon un peu différente. De même, ces conceptions ne permettent pas de prendre en compte le rapport intriqué que nous avons établi avec de nouveaux non humains, depuis les machines cognitives et les robots jusqu’au climat et aux organismes génétiquement modifiés. Relations Jivaros, haute Amazonie, Paris, Plon, 1993, p. 161. Dès lors comment peut-on interpréter ces « trouées » pour la compréhension de la situation occidentale qui n’a peut-être, comme le dit Bruno Latour, « jamais été moderne » ? 9  Frédéric Thomas, « Protection des forêts et environnementalisme colonial : Indochine 1860-1945 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 56/4, 2009, p. 104-136 ; ou James Fairhead et Melissa Leach, Misreading the African Landscape. La vie est ce long ruban qui se déroule sans temps mort et dans un mouvement souple qui alterne espoir et déception. Socrate. Il y a un roman de Maurice Genevoix que je trouve très instructif de ce point de vue, c’est Raboliot (1925) où Genevoix exalte la vie libre d’un braconnier de Sologne. », in Bruno Latour et Pierre Lemonnier [dir. La différence entre les Achuar et les toucans ne passe donc pas là où nous l’établissons : les uns comme les autres sont des personnes, avec une subjectivité, une dimension morale et les oiseaux se voient du reste comme des humains ; mais leur nature de toucan les distingue irrémédiablement des humains car elle les conduit à vivre dans un monde qui n’intersecte que très partiellement avec celui des Achuar. Voici comment je conçois le travail des intellectuels. Dans un autre registre, moins massif, certains occidentaux ne se sont-ils pas mis à l’école des autres ontologies pour subvertir la vision du monde occidental ? Le XIXe siècle, siècle de l’industrialisation, de la rationalisation technique, de l’émergence des sciences sociales et des idéologies du progrès est donc à l’évidence un temps d’accomplissement du « grand partage » que vous évoquez. Reporterre a conversé avec lui : voci son interview, à écouter en podcast et/ou à lire. On désigne cela sous le nom de pishtaco en général ; à l’origine un pishtaco est un membre des communautés indigènes dans les Andes qui devient sorcier et capture l’énergie vitale des autres pour s’en nourrir. Quelle quantité d'olives vais-je récolter ? Par rapport aux années 1970 et aux écrits radicaux d’auteurs comme Pierre Clastres ou Jacques Lizot, l’anthropologie contemporaine semble s’être assez dépolitisée, qu’en pensez-vous ? La production de l'olive est biennale: cela veut dire que la … 15 Le désespoir, faut vivre avec. Époque : XXe-XXIe siècle Et plusieurs travaux discutent cependant son aboutissement. La découverte que la vie sociale ne se passe pas uniquement dans une sorte de bocal dont l’environnement constituerait la toile de fond ne s’est faite que très progressivement en France, mais j’étais déjà persuadé de mon côté que la vie sociale est fondée sur des interactions multiples avec toutes sortes d’êtres qui ne sont pas tous humains. Comme troisième formule, j’avais pris le vautour, l’urubu. Visions des mondes animaux, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 2005. Le travail qui me semble indispensable aujourd’hui consiste à reformuler les concepts afin d’échapper à cet européocentrisme, pour mieux comprendre la diversité des situations dans lesquels les humains interagissent avec d’autres êtres non-humains, notamment les animaux. À partir de ce terrain initial, il a proposé une vaste analyse des sociétés modernes du point de vue de la pluralité de leurs « ontologies » et de la diversité des relations entre « humains et non-humains ». Une des choses qui m’avaient beaucoup marqué chez les Achuar – et sur laquelle j’ai par la suite beaucoup écrit2 – est la très grande quantité d’animaux apprivoisés qu’il y avait dans les maisons Achuar. I, L'avènement de la démocratie Parce qu’ils observent des manières de vivre la condition humaine très différentes de celles qui ont cours en Europe, ils sont immédiatement sensibles à la diversité des choses et des conditions. RH 19 : Poursuivons dans cette perspective. J’ai ainsi découvert tardivement les travaux de Liliane Bodson à l’université de Liège, une grande figure de l’étude des animaux dans l’Antiquité, une pionnière érudite qui a beaucoup fait pour qu’on s’intéresse à cette question. Je pense que c’est une piste à suivre mais la seule réponse à cela est empirique. 5  Pierre-Olivier Dittmar, Naissance de la bestialité. On peut dire que l’anthropologie est née de la nécessité d’éclaircir ce mystère, qui était auparavant traité par une discipline qui relevait plus des sciences historiques – les études folkloriques – mais qui l’abordait plutôt dans une tradition littéraire, en recherchant des motifs et des thèmes, en voyant comment s’enracinait le symbolisme des animaux dans une tradition locale de légendes, de cultes de saints ou de pèlerinages. Ses recherches de terrain en Amazonie équatorienne, auprès des Jivaros Achuar, ont fait de lui une des grandes figures américanistes de l'anthropologie. Du fait de sa formation, de ses origines, de son attachement à une solution française, il ne pourra jamais faire le saut et condamner la France coloniale. 2  Philippe Descola, « Pourquoi les Indiens d’Amazonie n’ont-ils pas domestiqué le Pécari ? Selon une étude publiée mercredi dans "Nature Communications", la probabilité pour un malade homme d'être hospitalisé en soins intensifs est presque trois fois plus élevée que pour une femme. Par ailleurs, comme Jean-Claude Schmitt avait dans ce livre une approche assez structuraliste, c’était même véritablement de l’anthropologie structurale, je me sentais en terrain connu. Et puis est né, bien plus tard, cet animal turn que vous évoquez. Je les avais lus dans le cadre du séminaire de recherche que j’ai commencé à donner à l’EHESS au retour de mon terrain. Par-delà nature et culture. Élaborer des modèles implique de retenir des faits qui paraissent les plus pertinents pour qualifier un collectif, une période, une société, une civilisation, et d’en éliminer d’autres avec un certain arbitraire. Philippe Descola : Réfléchir aux discours et pratiques de refus ou de résistance à ce que je nomme la cosmologie naturaliste serait effectivement une autre voie intéressante à creuser. Je ne savais pas grand-chose sur les animaux au Moyen-âge et d’un coup je découvre un chien là aussi personnifié à qui on voue un culte ! De quoi les collectifs sont-ils composés ? Il montre au fond très bien ce que vous dites, à savoir que pas très loin de Paris en Sologne, un braconnier peut mener la vie d’un Achuar ; ce braconnier est quelqu’un qui a complétement perdu les repères sociaux de son époque, qui a cédé à l’appel de la forêt, cela se termine d’ailleurs très mal. Philippe Descola : C’est une idée que j’ai vaguement esquissée dans Par delà nature et culture (désormais PDNC) et je serai bien incapable de lui donner un fondement empirique soutenu, mais il me semble que le XIXe siècle est à la fois la période de l’émergence de ce que j’appelle la naturalisme et en même temps une période où prolifèrent ce que Boltanski et Thévenot appellent des « cités », c’est-à-dire au fond des systèmes de valeurs et d’interactions extrêmement diversifiés, peu compatibles, et qui donnent à la vie sociale toute sa tension et sa complexité. Si vide d'espoir est le monde du dehors que deux fois plus précieux m'est le monde du dedans. Quelles sont les formes d’hybridation qu’ils autorisent ? L’explication élémentaire est que l’exploitation de la force de travail est perçue comme une véritable dévoration par les populations qui y sont soumises. Il montre qu’au cours d’une période finalement assez brève – trois siècles – les transformations ont été considérables dans la sensibilité des Anglais vis-à-vis des animaux, en montrant à la fois les convergences et les divergences des différentes couches de la société à cet égard. De ce point de vue, quelle est la caractéristique du XIXe siècle ? Les recherches en histoire environnementale, autour des premières réserves naturelles en particulier, ont joué un rôle important dans ces réflexions sur le partage et l’hybridation des ontologies à partir de recherches empiriques concrètes. Mais nous, anthropologues intéressés par le comparatisme, nous n’avons pas accès à la totalité des traitements individuels de ces plis, nous n’avons accès qu’à des choses déjà systématisées, soit par des individus particulièrement doués ou ayant une attitude réflexive plus poussée que d’autres à l’égard de leur monde, soit par des historiens, ou des ethnologues qui vont produire la synthèse locale et temporaire de l’objectivation de certains de ces plis par le groupe humain auquel ils s’intéressent. Par rapport aux travaux des historiens, l’intérêt des ethnologues à cet égard est fondé sur la perplexité et l’étonnement de découvrir encore vivaces des attitudes et des coutumes qu’on aurait pu penser relever d’un passé très ancien à une époque – la fin du XIXe siècle – par ailleurs très rationaliste et dans laquelle la distinction entre nature et culture paraissait aller de soi sur un plan épistémologique pour les élites européennes. Or, Raboliot montre que des personnages de ce type peuvent exister dans les interstices du naturalisme, et qu’ils n’ont pas disparu. Les premiers ethnographes et observateurs rapportaient fréquemment que les populations locales personnifiaient les animaux. J’ai d’abord choisi le toucan, fondé sur mon expérience ethnographique chez les Achuar. Pour des périodes comme le XIXe siècle c’est possible, Marx l’a fait pour l’économie et pas mal de gens l’ont fait pour les institutions politiques, mais réduire cette diversité à une ontologie est beaucoup plus délicat. et préface d’Emmanuel Désveaux Paris, EHESS, 2016. Les registres d’élevage, ou livre d’origine (studbook en anglais), c’est-à-dire les registres de recensement d’animaux appartenant à une certaine espèce, sous-espèce, race ou lignée, et dont les parents sont connus, sont certes plus anciens mais la normalisation de la production animale se généralise surtout à cette époque pour répondre aux besoins de sociétés en expansion. Au départ c’était un phénomène spécifiquement andin. C’est une attitude très étrange ; cela supposait une sorte d’identité presque substantielle entre le seigneur du lieu et les animaux qu’il avait sous son contrôle. RH 19 : Une dernière question peut-être plus personnelle : en relisant vos textes, nous y repérons un désir d’utopie, ou du moins une recherche d’un monde un peu plus juste, pourriez-vous expliciter davantage cet horizon utopique et politique ? III, Comment la vérité et la réalité furent inventées, L'avènement de la démocratie Alors qu’un animal turn semble se dessiner depuis une vingtaine d’années dans les sciences sociales, l’anthropologie et l’ethnologie ont sans doute été les premières à mettre les animaux au cœur de leurs analyses, bien avant l’histoire. Cet ouvrage qui a exercé une grande influence repense en effet en profondeur notre cosmologie naturaliste et en rappelle le caractère relatif. L'Enigme du retour (2009) de . Une autre chose m’avait frappé, la pratique du combat entre taureaux et chiens dans des arènes, pratique qui existait encore au XVIIIe siècle. Nous rejoindre Bienvenue sur notre site Carrières Madrigall. Il n'y a pas de morts, Seigneur, Il n'y a que des vivants, sur notre terre, et au-delà. Philippe Descola, né le 19 juin 1949 à Paris, est un anthropologue français. 4  Dans les croyances amérindiennes, le nagual est un être mythologique à la fois humain et animal, un esprit tutélaire qui peut être un animal particulier, concret, ou bien le représentant abstrait d’une espèce. Ces dernières sont depuis devenues un champ à part, avec leurs revues spécialisées, leurs chaires et départements universitaires, mais mon propre travail ne s’inscrit pas dans ce champ de spécialité, même si j’accorde une importance centrale aux rapports entre humains et non-humains. Il n'y a plus d'espoir... 06 décembre 2017. Ce contact direct incite effectivement à remettre en cause ce qu’on pensait des animaux du fait de l’éducation qu’on reçoit et qui, à l’exception de quelques espèces domestiquées, fait d’eux plutôt des signes et des symboles que des êtres avec lesquels on interagit au quotidien, des partenaires de la vie sociale… Cet élément est central, et d’une certaine façon cette dimension nous est donnée de façon plus immédiate à nous les ethnologues qui partons dans des pays lointains, alors que dans le cas du travail historique il faut sans doute, pour voir les animaux autrement, procéder au préalable à un travail réflexif de mise à distance des schèmes au moyen desquels les animaux sont perçus dans l’Europe moderne. Tous les philosophes insistant sur le fait que les perroquets mais aussi d’autres animaux parleurs, qui donnent l’illusion de l’humanité, ne serait-ce que parce que quelquefois ils ont un certain à-propos dans l’usage du langage, ne sont pas des humains parce qu’ils n’ont pas la capacité d’inventer des langages nouveaux, ils se contentent d’imiter ce qu’ils entendent. RH 19 : Pouvez-vous préciser les conséquences qu’a eu l’affirmation de la cosmologie naturaliste sur l’organisation sociale, est-il possible de voir les effets de ces grands partages dans le quotidien des populations, notamment au XIXe siècle où ils semblent se durcir ? - GALLIMARD; Bibliothèque des Sciences humaines; Par-delà nature et culture; Télécharger la couverture ; Philippe Descola. 26 Mes amis, il n'y a pas d'amis ! Les descriptions rapportées de la périphérie colonisée tendaient à remettre en cause cette distinction établie. Dans le colloque sur l’anthropocène que vous mentionnez, ma conférence insistait sur l’existence de trois concepts fondamentaux dans le naturalisme et dans notre rapport actuel à l’égard des non-humains : l’appropriation, l’adaptation et la représentation. Or, on voit bien au XIXe siècle que des temporalités complexes s’imbriquent, et vos remarques sur l’histoire de longue durée de l’Amérique du sud le montrent bien. La spiritualité apparait dans notre vie dès que nous commençons à porter attention à nos insatisfactions et nos aspirations, à nos sentiments et sensations, et que nous nous demandons quelle est véritablement le sens de notre vie. Littérature française; Littérature étrangère L’histoire comme causalité antécédente des événements et condition du futur, la société comme un ensemble composé seulement d’humains transformant une nature extérieure à elle, l’économie comme un domaine séparé du reste de la vie sociale, toutes ces notions, si centrales dans le processus d’objectivation de la trajectoire historique de l’Europe et fondements jusqu’à aujourd’hui des sciences sociales, sont extrêmement déformantes pour comprendre des réalités extra-européennes. Pour les historiens du XIXe siècle, cette anecdote renvoie à la persistance de pratiques massives à cette période, au cours de laquelle on chassait par exemple des baleines pour leur graisse utilisée pour l’éclairage ou comme lubrifiant. Je suis un américaniste et j’observe comment se propagent des représentations des amérindiens qui naissent au XVIe et se perpétuent jusqu’au XXe siècle, y compris les préjugés et le traitement de ces populations par les colonisateurs. RH 19 : Les historiens continuent de parler par siècle, malgré tout ce que cela peut avoir d’artificiel. Ce livre avait au moins 150 pages de plus et Pierre Nora, dans sa grande sagesse (rire), m’a suggéré de couper, car la tentation de l’histoire universelle est un risque dans ce genre de projet. Sous-catégorie Désormais, il me semble que je peux surtout être utile en procédant à un profond travail de reconceptualisation des outils au moyen desquels nous pensons notre rapport au monde. 11  Peter Singer, La libération animale, Paris, Payot, 1975. 1  Vanessa Manceron, ‘What is it like to be a bird? Enquête sur la culture magique au temps de George Sand, Paris, les Belles Lettres, 2015. Est-ce uniquement le résultat de l’observation de sociétés autres qui n’avaient pas encore évacué le monde animal des interactions sociales communes ? AccueilRevue d'histoire du XIXe siècle54DossierLes animaux et l’histoire, par-de... Entretien réalisé le 15 janvier 2016, au collège de France (Paris), par Quentin Deluermoz et François Jarrige. - Ce site utilise des cookies nécessaires à son bon fonctionnement, des cookies de mesure d’audience et des cookies de modules sociaux. Dès le début cette interrogation était présente. TOP 10 des citations espoir (de célébrités, de films ou d'internautes) et proverbes espoir classés par auteur, thématique, nationalité et par culture. Pourquoi les oiseaux ? 3  Keith Thomas, Man and the Natural World: Changing Attitudes in England 1500-1800, New York, Pantheon Books, 1983 ; traduction française Dans le jardin de la nature : la mutation des sensibilités en Angleterre à l’époque moderne : 1500-1800, Paris, Gallimard, 1985. Ce projet a abouti en 2005 à la publication d’un grand livre, Par-delà nature et culture, dont les historiens n’ont sans doute pas encore tiré toutes les conclusions pour nourrir leur propre réflexion. La densité de la présence européenne joue évidemment aussi un grand rôle dans ces processus, les premiers Européens présents à l’époque moderne sont souvent des pionniers qui adoptent les modes de vie des populations avec lesquels ils vivent, ils sont en quelque sorte les premiers ethnologues, même si, à l’instar des coureurs des bois de l’Amérique du Nord française, ils n’ont malheureusement pas laissé de documents. Philippe Descola : Oui, le fait que cela ait commencé aux États-Unis et au Royaume-Uni n’est pas un hasard ; le rapport à l’animal est très anthropocentré ou socio-centré en France, il est conçu comme cela ; je pense notamment à la loi Grammont de 1850 qui condamne les violences publiques faites aux animaux, du fait qu’elles rendent visibles une dégradation de l’idée qu’on peut se faire de l’humain. Je pense que mon rôle et mon utilité potentielle résident d’abord dans cet effort de reconceptualisation, dans cette tentative de reformulation, en des termes qui ne fassent pas violence à la façon dont d’autres civilisations ont pensé leur rapport au monde, plus qu’en étant directement embarqué dans la vie politique et militante. Vous y retrouverez l’ensemble des postes à pourvoir au sein du Groupe. Il y a une contradiction étonnante au XIXe siècle. Sa beauté, son courage, sa patience et son sens élevé du sacrifice qui sont tels que bien des hommes en sont indignes ! C’est la logique de la transformation qui m’intéresse, à la manière dont Marx procédait en étudiant par une démarche régressive comment, à partir de la définition du capitalisme qu’il avait donnée, on pouvait remonter le temps pour trouver certains de ses éléments constitutifs dans des transformations de formes économiques précapitalistes.

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